Improvisation inspirée par ce diptyque de Stéphane Ragot (cliquez sur les photos pour les agrandir)
(L'impro dure 7 minutes et sera peut-être longue à charger sur certains ordinateurs.)
Merci Stéphane pour ce beau cadeau visuel ! Le diptyque agrémenté de musique devient-il un triptyque ? A vous de juger...
Vous pouvez m'envoyer vos photos, portraits, dessins et autres thèmes d'impros en passant par la page "Contact"... et bien entendu, laisser vos commentaires sur cette seconde co-création.
Commentaires
Merci Manu, ta composition me bouleverse. J'entends la marche funèbre, le pas cadencé qui angoisse. Son rythme lent qui finit par glisser, submergé par les souvenirs d'enfance. On le dirait vaincu. Mais quelle est cette ritournelle qui ondule finalement ?
Je t'ai proposé deux photos sans titre ni légende pour ne pas influencer ton improvisation. Mais un petit texte que tu n'as pas lu et qui accompagne le diptyque résonne fortement avec ta musique, en tous cas dans mon oreille, et bien plus fortement que je l'aurais cru :
Je photographie les petits soldats de mon enfance. Ma mère les a conservé avec le reste de mes jouets. Je retrouve le plaisir que j'éprouvais à m'inventer des batailles et des embuscades, à quatre pattes aux pieds des troènes. Je regarde mes figurines et je vois mon père défiler à la tête de sa compagnie. Je vois mes oncles Georges, Gwenaël, Albert, Hervé, Bernard, mes cousins Erwan, Frédéric ou Cyril, tous militaires de carrière, et puis la figure tutélaire de Grand-père, le colonel Dupouts, le père de ma mère. Les branches de mon arbre généalogique sont couvertes de fruits kakis. "Quand je serai grand je veux être officier de marine. Je veux être marin parce que j’aime la mer, le coucher du soleil. Pour moi, l’armée, ce n’est pas pour le plaisir, c’est un peu pour protéger notre pays." Une rédaction de CM1 raconte le petit garçon que j'étais et qui se trompait d'avenir. Prise de vue au bord de l'Orge, derrière l'école primaire. Je lance un bâton dans l'eau avant de déclencher. Ma mère a cousu des galons de capitaine sur les épaules d'une chemise raccourcie. Le petit capitaine glisse en jouant trop près du bord, la vase l'aspire, il s'agrippe désespérément aux herbes du rivage. Là, dans ma panoplie d'officier français, un béret sur la tête, j'ai peur de mourir.
Stéphane
En ce qui me concerne, l'association soldats - rivière me ramène invariablement à cette anecdote étonnante que nous répétait souvent un professeur d'acoustique : le "Pont de la basse-chaîne" à Angers, qui s'est effondré en 1850 au passage d'une troupe de fantassins qui marchaient au pas (le pont étant entré en résonance avec le rythme des pas) : 200 morts, d'où l'obligation depuis de rompre le pas à la traversée d'un pont.
En attendant, si cette musique est entrée en résonance avec tes souvenirs - et tant mieux - j'espère que mon blog ne va pas s'effondrer (ni ta mémoire d'ailleurs !)
Merci pour ces photos et cette musique.
La thématique est touchante, le résultat est beau.
En élargissant encore on pourrait mettre en parallèle le destin de ces soldats avec beaucoup de choses de la vie. Ici ce qu'on ressent c'est l'inéluctabilité. On sent qu'ils vont à leur perte mais rien ne semble arrêter cette marche.
MERCI Stéphane et Emmanuel pour ce polyptyque: les photos, la mélopée et vos mots qui se répondent en déployant des imaginaires qui me touchent.
Quand j'étais étudiante à Angers, j'habitais auprès du pont de la Haute-Chaîne. Je connaissais vaguement, depuis l'enfance, l'histoire de celui de la Basse-Chaîne.
J'aimais bien ces noms mystérieux qui m'évoquaient un passé aventureux et plus lointain de la ville, avec d'improbables Errol Flynn tentant de traverser ces barrières invisibles tendues dans la rivière.
Entre ces 2 ponts, il y en avait un autre, lié au quartier Beaurepaire où ma marraine chérie avait grandi et où étaient situés la plupart des récits de cette branche la plus ouverte de la famille, celle qui a été la grande bouffée d'oxygène de mon enfance.
Pour aller un peu plus loin et refermer la boucle, ma marraine est un diptyque: Yvonne-et-Madeleine, duo délicieux et inusable de sœurs indissociables à 82 et 80 printemps.
Le pont du centre s'appelle officiellement "de Verdun" mais je n'ai jamais aimé l'appeler sous ce nom. D'abord, je n'y comprenais rien, c'était anachronique: le plus vieux pont d'Angers et le fringant Beaurepaire, aux allures de flibustier, ne pouvaient frayer, ni de près ni de loin, avec la grande guerre (merci internet, j'ai compris aujourd'hui en quelques clics). Et puis, c'était les gaz de Verdun qui avaient tué à retardement tonton Emile, père haut-en-couleurs d'Yvonne et Madeleine.
Pendant la grande guerre, Emile, comme tous les musiciens, ne portait pas les armes: ceux-ci allaient chercher les blessés entre les lignes, ou ils y poussaient la roulante pour les repas.
Enfin, Verdun c'était aussi Pétain... Mon père adorait. Tante Yvonne, femme d'Emile, détestait. J'ai vite compris que dans ce grand écart, il y avait un truc décisif à creuser.
Emile jouait du bugle.
Il a été comblé d'avoir deux filles: elles ne feraient pas la guerre.
Anne
C'est vrai Anne, c'est une couche bien épaisse de notre histoire que tante Yvonne et tonton Émile t'invitent à creuser. Sûrement y trouves-tu une part de nous même. Vive l'archéologie !
Mais quoi, refermer la boucle si vite ? Je reprendrais bien un ticket pour un nouveau tour, c'est que j'ai déjà pris goût au manège musical d'Emmanuel, moi !
Tu dis : « ma marraine est un diptyque : Yvonne-et-Madeleine, duo délicieux et inusable de sœurs indissociables » Et moi je vois deux sœurs, institutrices à la retraite à Baracoa, Cuba, photographiées en 1991. Elles habitaient une bicoque en bois toute de guingois. J'avais pris rendez-vous l'après-midi pour la séance de prises de vue. Elles m'attendaient, apprêtées, et avaient toutes deux revêtue leur ancienne robe d'institutrice pour l'occasion. Je vois dans leurs visages et dans leurs regards la même tendresse que dans les mots que tu choisis pour nous parler de ta marraine-diptyque.
Je décide, pouvoir discrétionnaire du photographe, d'appeler temporairement cette photo « Yvonne-et-Madeleine » et de l'envoyer à Emmanuel... écoutons-voir si cette histoire de marraines angevines-cubaines inspire les doigts du maestro...